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Chant XIII - 3 - Jonathan Abbou Photography

2014 à ... > Chant XIII - 3

Nessus n’était pas encore arrivé sur l’autre rive,
quand nous pénétrâmes dans un bois
où il n’y avait pas trace de sentier.
Pas de feuillage vert, mais de couleur sombre ;
pas de rameaux lisses, mais noueux et tordus ;
pas de fruits, mais des épines venimeuses ;
elles n’ont pas de halliers si âpres et si épais,
ces bêtes sauvages qui, entre la Cecina et corneto,
fuient les lieux cultivés.
Là font leurs nids les hideuses Harpies
qui chassèrent les Troyens des Strophades
en leur donnant le lugubre présage de leurs maux futurs.
Elles ont des ailes larges, un cou et un visage d’homme,
des pattes armées de serres et un grand ventre couvert de plumes ;
elles poussent leurs gémissements sur les arbres étranges.
Le bon maître commença à me dire :
« Avant que tu pénètres plus avant, sache que tu es dans la seconde zone,
et que tu y restera jusqu’au moment
où tu arriveras parmi les horribles sables ;
aussi regarde bien ; et tu verras des choses
qui pourraient t’empêcher de croire à mes paroles. »
J’entendais de toutes parts pousser des gémissements
et je ne voyais personne qui les fit ;
aussi je m’arrêtai tout troublé.
Je crois qu’il crut que je croyais
que toutes ces voix provenaient de gens
qui se cachaient à nous entre ces troncs.
Aussi le maître me dit :
« Si tu casses quelque petite branche d’une de ces plantes,
les pensées que tu as perdront tout fondement. »
Alors j’avançai un peu la main
et je cueillis un rameau d’une grande ronce ;
et le tronc cria : Pourquoi me mutiles-tu ? »
Après qu’il fut ensuite devenu noir de sang,
il recommença à dire : « Pourquoi me brises-tu ?
N’as-tu donc aucun sentiment de pitié ?
Hommes nous fûmes, et voici que buissons nous sommes devenus ;
ta main devrait bien nous être plus pitoyable,
même si nous avions été âmes de serpents. »
Comme d’un tison vert qui brûle à un des bouts,
et gémit et siffle de l’autre, effet de l’air qui s’échappe,
ainsi du bois brisé sortaient en même temps des paroles et du sang ;
aussi je laissai la branche tomber,
et je demeurai comme un homme effrayé.
« S’il avait pu croire d’abord, ô âme blessée »,
lui répondit mon sage,
« ce qu’il n’apprit que dans mes vers,
il n’aurait pas porté la main sur toi ;
mais cette chose incroyable me fit pousser à une action
que je regrette moi-même.
Mais dis-lui qui tu fus pour qu’en manière de réparation
il rafraîchisse ta mémoire sur la terre,
où il lui est permis de retourner. »
Le tronc parla : « Tu me séduis par de si douces paroles
que je ne puis me taire ; et qu’il ne vous soit point pénible
si je m’englue un peu dans mes propos.
Je suis celui qui tins les deux clefs du cœur de Frédéric,
et qui les tournai, fermant et ouvrant,
avec tant de douceur,
que des secrets de son cœur j’écartai presque tous les autres ;
et je fus si fidèle à ma glorieuse charge
que j’en perdis le sommeil et la vigueur.
La courtisane qui jamais du palais de César
ne détourna ses yeux sans pudeur,
mort du genre humain et vice des cours,
enflamma contre moi tous les esprits ;
enflammés, ils enflammèrent si bien Auguste
que mes honneurs joyeux se tournèrent en lugubres deuils.
Mon âme, dans on indignation dédaigneuse,
croyant par la mort fuir le dédain,
me rendit injuste au juste que j’étais.
Par la racines étranges de ce bois,
je vous jure que je n’ai jamais violé la foi due à mon seigneur,
qui fut si digne d’honneur.
Et si quelqu’un de vous retourne sur la terre,
qu’il défende ma mémoire qui est encore abattue
par le coup que l’envie lui a porté. »
Le poète attendit un instant, puis il me dit :
« Puisqu’il se tait, ne perds pas de temps,
mais parle et interroge-le si tu le désires. »
Je lui répondit alors :
« Demande-lui encore ce que tu crois qui me serait agréable :
moi je ne le pourrais, tant la pitié m’étreint. »
Il reprit donc : « Qu’on fasse volontiers pour toi
ce que tes paroles demandent, esprit emprisonné,
et qu’il te plaise
de nous dire comment l’âme s’unit à ces troncs noueux ;
et dis-nous, si tu le peux, si quelqu’une,
réussit jamais à se dégager de pareils membres. »
Alors le tronc souffla fortement,
et l’air du souffle se transforma en ces paroles :
« Il vous sera répondu brièvement.
Aussitôt que l’âme cruelle quitte le corps
dont elle s’est elle-même arrachée,
Minos l’envoie à la septième fosse.
Elle tombe dans la forêt, et aucune place ne lui est choisie ;
mais là où le hasard la précipite,
elle germe comme un grain d’épeautre.
En croissant elle devient une tige et une plante sauvage ;
les Harpies, en se nourrissant ensuite de ses feuilles,
lui causent de la douleur et font à cette douleur une sortie.
Comme les autres nous reviendrons chercher nos dépouilles,
mais aucune pourtant ne pourra s’en revêtir,
car il n’est pas juste que l’homme possède ce qu’il s’est enlevé.
Nous les traînerons ici,
et nos corps seront pendus par la triste forêt,
chacun à la ronce où loge son ombre ennemie. »
Nous prêtions encore notre attention au tronc,
pensant qu’il voulait nous dire autre chose,
quand nous fûmes surpris par un fracas,
comme quelqu’un qui, de l’endroit où il est posté,
entend venir le sanglier et la chasse,
et écoute bruire les bêtes et les branches.
Et en voici deux déboucher sur notre gauche,
nus et lacérés, fuyant si fort
qu’ils brisaient toutes les branches entrelacées.
Le premier criait : « Accours, accours maintenant, ô mort ! « 
et l’autre, à qui il semblait trop tarder :
« Lano, aussi agiles ne furent point
tes jambes aux joutes du Toppo ! »
Et peut-être parce que l’haleine lui manquait,
de lui-même et d’un buisson il ne fit qu’un seul groupe.
Derrière eux, la forêt était pleine de chiennes noires,
avides et courantes,
comme des lévriers qui viennent d’être déchaînés.
Dans celui qui s’était blotti elles mirent les dents,
et le dépecèrent lambeau par lambeau,
puis elles emportèrent ces membres dolent.
Mon guide me prit alors par la main
et me conduisit au buisson qui pleurait
en vain pas ses sanglantes déchirures.
« Ô Giacomo de Sant’ Andrea », disait-il,
« à quoi t’a servi de t’abriter derrière moi ?
en quoi suis-je responsable de ta vie criminelle ? »
Quand mon maître se fut arrêté près de lui, il dit :
« Qui as-tu été, toi, qui par tant de brisures
souffles avec ton sang des paroles douloureuses ? »
Il nous répondit :
« Ô âmes qui êtes venues voir ici le traitement cruel
qui m’a ainsi dépouillé de mes feuilles,
réunissez-les au pied du lugubre buisson.
Je fus de la cité qui pour le Baptiste échangea son premier patron ;
aussi celui-ci, pour cette raison,
la rendra par son art toujours malheureuse,
et n’était que sur le pont d’Arno
il reste encore quelque vestige de lui,
ces citoyens qui la reconstruisirent sur les cendres
que laissa Attila, auraient fait un travail inutile.
Je me fis un gibet de ma propre demeure. »

Et aussi...