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Chant XVI - Jonathan Abbou Photography

2014 à ... > Chant XVI

Déjà j’étais en un lieu
où l’on entendait le fracas de l’eau qui tombait dans l’autre cercle,
pareil au bourdonnement que font les ruches,
lorsque trois ombres
quittèrent ensemble, en courant,
une troupe qui passait sous la pluie de l’âpre supplice.
Elles venaient vers nous et chacune d’elles criait :
« Arrête-toi, toi qui à ton costume
nous parais être quelqu’un de notre patrie perverse. »
Hélas ! que de plaies je vis en leurs membres,
récentes et anciennes, brûlées par les flammes !
J’en souffre encore lorsque seulement je m’en souviens.
A leurs cris mon docteur s’arrêta,
tourna les yeux vers moi et me dit :
« Attends ; il faut envers ceux-ci se montrer courtois.
N’était le feu que darde la nature de ce lieu,
je dirais qu’il te convient plutôt qu’à eux de te presser. »
Comme nous nous arrêtions, ils recommencèrent leur antique lamentation ;
et quand ils furent arrivés jusqu’à nous,
ils se mirent tous trois à tourner en faisant une roue d’eux-mêmes,
ainsi qu’ont coutume de faire les athlètes nus et frottés d’huile,
en cherchant leur prise et leur avantage,
avant d’en venir à l’attaque et aux coups.
et, en tournant ainsi, chacun d’eux dirigeaient vers moi son visage,
en sorte que leur cou
faisait un continuel mouvement en sens inverse de leurs pieds.
L’un d’eux commença :
« Si la misère de ce terrain sablonneux et notre aspect noirci et pelé
attirent le dédain sur nous et nos prières,
Celui-ci dont tu me vois fouler les traces,
tout nu et tout écorché qu’il aille,
fut d’un rang plus élevé que tu ne le penses.
Il fut le petit-fils de la bonne Gualdrada ;
il eut nom Guido Guerra, et durant sa vie
il accomplit de grandes choses par sa sagesse et par son épée.
L’autre, qui foule le sable derrière moi,
est Tegghiaio Aldobrandi,
dont la voix, là-haut sur la terre, aurait dû être écoutée.
Et moi, qui avec eux subis le même supplice,
je fus Iacopo Rusticucci ;
et ma femme acariâtre m’a certes fait plus de tord que tout le reste.
Si j’avais été à l’abri du feu,
je me serais jeté en bas parmi eux,
et je pense que mon docteur me l’aurait permis ;
mais parce que je me serais brûlé et cuit,
la peur l’emporta sur ma bonne volonté
qui me faisait désirer vivement de les embrasser.
Puis-je commençais :
« Ce n’est pas du dédain, mais de la douleur que votre état m’a inspiré,
une douleur telle qu’elle tardera longtemps à s’effacer complètement,
dès que mon seigneur que voici
m’eut dit des paroles qui m’ont fait penser
que s’approchaient des gens tels que vous êtes.
Je suis de votre ville, et toujours j’ai répété et écouté avec amour
vos actions et vos noms illustres.
Je quitte le fiel et je vais chercher les doux fruits
que m’a promis mon guide véridique ;
mais il faut d’abord que je descende jusqu’au fin fond. »
« Puisse longuement ton âme conduire tes membres »,
répondit encore cet autre,
« et que ta renommée briller après toi,
mais dit-nous si la courtoisie et la valeur
demeurent toujours dans notre villes, comme d’habitude,
ou si elles en ont à jamais disparu ;
car Guglielmo Borsiere, qui depuis peu se lamente avec nous,
et qui va là-bas avec ses compagnons,
nous tourmente beaucoup par ses propos. »
« Les nouveaux venus et les fortunes rapides
ont engendré en toi, Florence,
l’orgueil et les excès dont tu gémis aujourd’hui. »
Je criai ces mots, la face levée ;
et les trois, qui entendirent cette réponse, se regardèrent l’un l’autre,
comme on se regarde en face de la vérité.
« Si les autres fois il t’en coûte si peu »,
répondirent-ils tous,
« de satisfaire autrui, heureux es-tu de parler comme tu penses !
Aussi, si tu viens à quitter ces lieux sombres
et si tu t’en retournes contempler les belles étoiles,
quand il te sera agréable de dire : « J’étais là... »,
Fais en sorte de rappeler notre souvenir aux hommes. »
Alors ils rompirent la roue,
et leurs jambes rapides parurent dans leur fuite être des ailes.
On aurait par pu dire un amen
dans le temps si bref qu’ils mirent à disparaître ;
alors il parut bon à mon maître de partir.
Je le suivais, et nous avions peu marché
lorsque le bruit de l’eau nous devint si proche
que nous eussions pu à peine entendre nos paroles.
Comme ce fleuve, qui a son propre lit
d’abord du mont Viso vers l’orient,
sur le côté gauche de l’Apennin,
et qui en haut s’appelle Acquaqueta,
avant de dévaler jusqu’à son lit inférieur,
et perd ce nom à Forli,
retentit là-bas, au dessus de San Benedetto,
en tombant du haut de l’Alpes dans un précipice,
en un lieu où mille religieux devraient trouver logis,
ainsi, au bas de rochers escarpés,
nous trouvâmes le fracas de cette eau sombre,
tel qu’en peu de temps il eût blessé l’oreille.
J’avais une corde en guise de ceinture,
et j’avais pensé, à un moment,
prendre avec elle la lonza à la peau tachetée.
Après que je l’eus toutes dénouée d’autour de moi,
comme mon guide me l’avait commandé,
je la lui tendis rassemblée et roulée.
Il se tourna alors vers la droite
et il la jeta en bas dans ce profond abîme,
et un peu loin du bord.
« Il faut donc », me disais-je en moi-même,
« que quelque chose d’insolite réponde à ce signal d’un nouveau genre,
que mon maître suit si attentivement des yeux. »
Ah ! que les hommes doivent être prudents
auprès de ceux qui ne voient pas seulement les actes,
mais dont la sagesse scrute les pensées mêmes !
Il me dit : « Bientôt viendra en haut ce que j’attends
et à quoi tu penses ;
il convient que cela se découvre bientôt à ta vue. »
Toujours à la vérité qui paraît mensonge,
l’homme doit, autant qu’il le peut, fermer la bouche,
car, sans avoir commis de fautes, il s’en attire de la honte ;
mais ici je ne saurais me taire :
et je te jure, lecteur, par les vers de cette Commedia,
puissent-ils être longtemps en faveur !
que je vis, par cet air épais et sombre,
monter en nageant une forme effroyable
pour le cœur le plus intrépide.
à la manière de celui qui revient,
après avoir plongé parfois pour dégager une ancre accrochée à un rocher
ou à quelque autre chose cachée dans la mer,
et qui tend les bras en haut et ramène à soi ses pieds.

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