Warning: Use of undefined constant id_document - assumed 'id_document' (this will throw an Error in a future version of PHP) in /home/jonathg/www/ecrire/public/evaluer_page.php(51) : eval()'d code on line 3
Géryon, Dante, un petit diable et une sodomite - Jonathan Abbou Photography

2014 à ... > Géryon, Dante, un petit diable et une sodomite

Chant XVII
Septième cercle
Les violents
Troisième zone
Violents contre l’art

« Voici la bête à la queue aiguisée,
qui franchit les montagne, qui brise les murailles et les armures,
voici celle qui empeste le monde entier ! »
Ainsi mon guide commença à me parler ;
et il lui fit signe de venir
aborder près du bord des rochers où nous marchions.
Et cette hideuse image de la fraude
s’en vint et avança la tête et le buste,
mais elle n’amena pas sa queue sur la rive.
Sa face était celle d’un homme juste,
tant elle avait extérieurement un aspect bénin,
et tout le reste du corps était celui d’un serpent ;
elle avait deux pattes velues jusqu’aux aisselles,
le dos, la poitrine et les deux flancs
peints de nœuds et de taches rondes.
Ni Turcs ni Tartares ne firent jamais étoffes plus chargées de couleurs
avec plus d’arabesques et de reliefs,
et jamais Arachné ne tissa de pareilles toiles.
Comme parfois de petites barques sont tirées sur le rivage,
partie dans l’eau et partie à terre,
et comme là-bas parmi les Allemand glouton
le castor s’accroupit pour faire sa chasse,
ainsi la bête détestable
se tenait sur le rebord de pierre qui entoure le sable.
Toute sa queue se démenait dans le vide,
tordant vers le haut la fourche venimeuse
qui en armait la pointe à la manière des scorpions.
Mon guide me dit :
« Il faut maintenant que notre chemin fasse un détour
pour aller jusqu’à cette bête méchante qui est posée là. »
Nous descendîmes donc sur notre droite,
et nous fîmes dix pas sur l’extrême rebord,
pour bien éviter le sable et les flammèches.
Et quand nous fûmes arrivés jusqu’à elle,
je vis un peu plus loin, sur le sable,
des gens assis près de l’abîme.
Ici le maître me dit :
« Pour que tu emportes une pleine connaissance de cette enceinte,
va et vois quel est leur état.
Mais que tes discours soient brefs ;
avant que tu reviennes, je parlerai à cette bête
pour la décider à nous prêter ses fortes épaules. »
Ainsi tout seul j’allais encore
sur la limite extrême de ce septième cercle,
où étaient assis ces gens affligés.
Par leurs yeux leur douleur éclatait au dehors ;
de çà de là, ils se protégeaient de leur mains,
tantôt contre les flammèches, tantôt contre le sol embrasé ;
les chiens ne font pas autrement pendant l’été,
soit de leur museau, soit de leur pattes,
quand ils sont mordus par des puces, par des mouches
ou par des taons.
Après que j’eus fixé mes regards sur le visage
de quelques-uns de ceux sur qui tombe le feu douloureux,
je n’en reconnus aucun, mais je m’aperçus
qu’au cou il leur pendait à tous une bourse
d’une couleur différente et marquée d’un signe distinct
et dont il semble que leur yeux se repaissent.
Et comme je passais parmi eux en regardant,
je vis sur une bourse
jaune de l’azur qui avait face et attitude de lion.
Puis poursuivant le cours de mon regard,
j’en vis une autre rouge comme du sang
et qui montrait une oie plus blanche que le beurre.
Et un, qui avait son petit sac blanc
marqué d’une truie azurée et pleine, me dit :
« Que fais-tu dans cette fosse ?
Va-t’en tout de suite ;
et puisque tu es encore vivant
sache que mon voisin Vitaliano viendra s’asseoir ici à ma gauche.
Avec ces Florentins, je suis Padouan ;
souventes fois ils m’assourdissent les oreilles en criant :
« Vienne le chevalier souverain,
qui apportera la bourse aux trois becs ! »
Là-dessus, il tordit sa bouche et tira sa langue au dehors
comme un bœuf qui se lèche les naseaux.
Et moi, craignant de fâcher, si je restais davantage,
celui qui m’avait recommandé de m’arrêter peu,
je revins sur mes pas en quittant ces âmes lasses.
Je trouvai mon guide déjà monté
sur la croupe du farouche animal, et il me dit :
« Maintenant sois courageux et hardi
Désormais, c’est par de telles échelles que l’on descend ;
monte devant ! car je veux me tenir au milieu
pour que la queue ne puisse te faire mal. »
Tel est celui dont approche tant de frisson de la fièvre quarte
qu’il en a déjà les ongles livides et qu’il tremble de tout son corps
à regarder seulement l’ombre fraîche,
tel je devins aux paroles qui me furent dites ;
mais la honte me menaça,
elle qui devant un bon maître rend courageux le serviteur.
Je m’assis sur ces horribles épaules ;
Je voulus dire ceci, mais la voix ne me vint pas comme je m’y attendais :
« Fais en sorte de me tenir embrassé. »
Mais lui, qui d’autres fois m’avait déjà protégé contre d’autres dangers,
dès que je fus monté,
m’entoura de ses bras et me soutint ;
et il dit : « Géryon, pars maintenant ;
fais des tours larges et ne descends pas à pic ;
pense à la charge inusitée que tu portes. »
Comme la barque sort du port en arrière,
en arrière, ainsi s’éloigna-t-il de là ;
puis, quand il sentit qu’il avait entièrement son libre jeu,
il tourna sa queue là où il avait d’abord sa poitrine,
il la tendit et la mit en mouvement comme fait une anguille,
et de ses pattes il ramena l’air à soi.
Je ne pense pas que fut ressentie une frayeur plus grande,
quand Phaéton lâcha les rênes,
ce qui mit le feu au ciel comme il paraît encore,
ni quand le malheureux Icare sentit,
par la fonte de la cire, ses reins se déplumer,
pendant que son père lui criait : « Tu prends une mauvaise route ! »
que ne fut la mienne,
quand je vis que l’air m’entourait de toutes parts,
et que je ne vis plus rien hormis la bête.
Elle s’en va en nageant lentement, lentement ;
elle tourne et descend, mais je ne m’en aperçois point
si ce n’est au souffle qui d’en bas me frappe le visage.
Déjà j’entendais à main droite
la cascade faire au dessous de nous un horrible fracas,
ce qui me fit pencher en bas et la tête et les regards.
Alors je redoutai encore plus une chute,
car je vis des feux, et j’entendis des plaintes ;
aussi tout tremblant je me ramassai sur moi-même.
Et je vis ensuite ce que je n’avais pas vu jusqu’alors,
notre descente et nos spirales,
d’après les grands tourments qui se rapprochaient de tous côtés.
Comme le faucon qui est resté longtemps sur ses ailes
et qui, sans avoir vu ni appeau ni oiseau,
fait dire au fauconnier : « Hélas ! tu descends ! »
revient fatigué là d’où il était parti agile,
et après cent détours se pose loin de son maître,
dédaigneux et en colère,
ainsi Géryon nous déposa au fond,
juste au pied de la roche à pic,
et, dès qu’il fut déchargé de nos personnes,
il disparut comme la flèche de la corde.

Et aussi...