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L’enfer, Chant III, vestibule des Lâches - Jonathan Abbou Photography

2014 à ... > L’enfer, Chant III, vestibule des Lâches

PAR MOI L’ON VA DANS LA CITÉ DOLENTE,
PAR MOI L’ON VA DANS L’ETERNELLE DOULEUR,
PAR MOI L’ON VA PARMI LA GENTE PERDU.
LA JUSTICE INSPIRA MON SUBLIME ARTISAN ;
LA DIVINE PUISSANCE M’A FAITE,
ET LA SAGESSE SUPRÊME ET LE PREMIER AMOUR.
AVANT MOI IL NE FUT RIEN CRÉÉ
SINON D’ÉTERNEL, ET MOI JE DURE ÉTERNELLEMENT.
VOUS QUI ENTREZ, LAISSEZ TOUTE ESPÉRANCE.
Ces paroles de couleur sombre,
je les vis écrites au haut d’une porte ;
aussi je dis : « Maitre, leur sens m’est dur. »
Il me répondit, en homme informé de mes pensées :
« Ici il faut bannir toute crainte ;
il faut qu’ici soit morte toute lâcheté.
Nous sommes arrivés au lieu où je t’ai dit
que tu verrais la race douleureuse de ceux
qui ont perdu le bien de l’intelligence. »
Et après qu’il m’eut pris la main dans la sienne,
d’un air joyeux qui me réconforta,
il me fit pénétrer dans le monde du mystère.
Là des soupirs, des plaintes et de profonds gémissements
résonnaient dans l’air sans étoiles,
ce qui d’abord me fit pleurer.
Langages étranges, horribles blasphèmes, paroles douleur,
accents de colère, voix hautes et sourdes,
qu’accompagnaient des battements de mains,
faisaient un tumulte qui tournoie toujours
dans cet air éternellement sombre,
comme le sable quand souffle des tourbillons de vent.
Et moi qui avais la tête ceinte d’horreur,
je dis : « Maître, qu’est-ce que j’entends ?
et qui sont ces gens qui paraissent si accablés de douleur ? »
Il me répondit : « Cet état misérable
et celui des âmes douleureuses de ceux
qui vécurent sans infamie et sans louange.
Elles sont mêlées à ce choeur abject des anges
qui ne furent ni rebelles ni fidèles à Dieu,
mais qui ne pensèrent qu’à eux-mêmes.
Les cieux les chassent pour ne point perdre leur beauté
et le profond enfer ne les reçoit pas,
car les damnés en tireraient quelques gloire. »
Je lui dis : « Maître, quel est donc le tourment
qui les fait se lamenter si fort ? »
Il répondit : « Je vais te le dire brièvement.
Ceux-ci n’ont aucun espoir de mourir
et leur vie de misère est si basse
qu’ils sont jaloux de tout autre sort.
Le monde ne garde d’eux aucun souvenir ;
et la justice les dédaignent ;
ne parlons pas d’eux, mais regarde et passe ! ».
Et moi qui regardais, je vis un étendard
qui courait si vite en cercle
qu’il semblait ne jamais vouloir de repos ;
et derrière lui venait une si longue troupe de gens,
que jamais je n’aurais cru
que la mort eût tant frappé.
Après y avoir reconnu quelques-uns,
je vis et je connus l’ombre de celui
qui fit par lâcheté le grand refus.
Aussitôt je compris et j’eus la certitude
que c’était là la troupe des méchants
qui déplaisent à Dieu comme à ses ennemis.
Ces misérables, qui jamais ne furent vivants,
étaient nus et durement harcelés
par des taons et par des guêpes qu’il y avait là.
Elles faisaient sur leur visage
ruisseler du sang, qui, mêlé de larmes,
était recueilli à leurs pieds par des vers immondes.
Et après que je me fut mis à regarder plus loin,
je vis des gens à la rive d’un grand fleuve ;
c’est pourquoi je dis : « Maître, accorde moi de savoir
qui sont ceux là, et qu’elle loi
les fait paraître si pressés de traverser,
comme je le vois dans cette faible clarté. »
Il me répondit : « Cela, tu le sauras,
quand nous nous arrêterons
à la triste rive de l’Achéron. »
Alors, les yeux pleins de honte et baissés,
craignant d’avoir par ma question été importun,
jusques au fleuves je cessai de parler.
Et voici venir vers nous sur une barque
un vieillard à l’antique barbe blanche,
qui criait : « malheur à vous, âmes perverses !
N’espérez jamais voir le ciel ;
je viens pour vous conduire à l’autre rive,
dans les ténèbres éternelles, dans le feu et dans la glace.
Et toi qui es ici, âmes vivante,
sépare-toi de ceux-ci qui sont mort. »
Mais lorsqu’il vit que je ne m’en allais pas,
il dit : « Par un autre chemin, par d’autres ports,
tu viendras au rivage, et non ici, pour passer ;
c’est une barque plus légère qui doit te porter. »
Mon Guide lui dit : « Caron, ne te mets pas en colère :
on le veut ainsi là où l’on peut ce que l’on veut ;
n’en demande pas plus. »
Alors furent calmées les joues barbues
du nocher du marais livide,
dont les yeux étincelaient de cercles de feu.
Mais ces âmes, lasse et nues,
changèrent de couleur et claquèrent des dents,
dès qu’elles entendirent ces paroles cruelles.
Elles blasphémaient Dieu et leurs parents,
le genre humain, le lieu, le temps,
l’origine de leur race et de leur enfantement.
Puis elles se réunirent toutes ensemble,
pleurant à chaudes larmes,
sur la rive maudite qui attend quiconque ne craint pas Dieu.
Caron, démon aux yeux de braise,
les rassemble toutes d’un signe
et frappe de sa rame quiconque s’attarde.
Comme en automne les feuilles se détachent
l’une après l’autre,
jusqu’à ce que la branche voie à terre toutes ses dépouilles,
de même la descendance perverse d’Adam :
elles se jettent du rivage une à une sur un signe,
comme un oiseau sur son appeau.
Ainsi elles s’en vont sur l’eau noirâtre,
et avant qu’elles soient descendues sur l’autre rive,
une nouvelle troupe encore se rassemble de ce côté.
« Mon fils », dit le maitre courtois,
« ceux qui meurent maudits par Dieu
tous se réunissent ici de tous les pays ;
et ils ont hâte de franchir le fleuve,
car la justice divine les aiguillonne tellement
que leur crainte se change en désir.
Ici il ne passe jamais une âme vertueuse ;
C’est pourquoi, si Caron se plaint de ta présence,
tu peux bien comprendre maintenant ce que signifient ses paroles. »
Cela dit, la sombre campagne trembla si fortement
que le souvenir de mon épouvante
me baigne encore de sueur.
De cette terre de larmes jaillit un souffle,
qui projeta un éclair de feu,
lequel m’enleva tout sentiment ;
et je tombai comme un homme
qui succombe au sommeil.

Et aussi...